Classics Challenge, des social rides pas comme les autres

Le cyclisme, mais pas pareil : c’est la promesse du Classics Challenge, un social ride qui lance chaque mois des trajets de longue distance au départ de Paris. Ni sortie sportive, ni rando, un Classics est pourtant bien plus qu’un hybride entre les deux. Si vous voulez mon avis, ça tient dans le facteur humain.

Texte : Mathias Riquier. Photos : Daniel de Lima

7h52. Un porridge est en train de prendre forme tranquillement dans une casserole. J’écoute Alain Baraton expliquer comment traiter les cochenilles dans son jardin sur France Inter. Pas de bol pour moi, il me manque juste une parcelle de verdure pour mettre ses conseils à exécution. Mais son grain de voix suffit à me maintenir les paupières en place et à me rappeler pourquoi je me suis levé. Pour écouter un type parler de cochenilles, pour mettre des noix de cajou dans une mixture ambigüe de flocons d’avoine, et pour rouler 110 kilomètres en vélo dans un brouillard digne d’un pastis. Et a priori pour aimer ça.

« J’en vois des dizaines qui papotent, qui clignotent,

qui se tapotent les biceps de froid »

8h30, après une traversée d’un Paris quasi-désert (déjà une expérience en soi), je rejoins le point de rendez-vous fixé à La Cipale, à la lisière du bois de Vincennes. Un restaurant qui jouxte, tout en portant son ancien surnom, le vélodrome municipal Jacques-Anquetil, beau mythe de niche du grand Paris. Hôte des Jeux olympiques de 1900 et 1924, arrivée du Tour de France au tournant des années 70, l’anneau joue parfaitement son rôle de point de départ pour l’aventure humaine qui se prépare. D’ailleurs, soyons honnêtes, sans les copains dans l’équation, je serais sûrement en train de faire corps avec mon lit. Des êtres humains, j’en vois des dizaines qui papotent, qui clignotent, qui se tapotent les biceps de froid avec un sourire mal assuré, mais sincère. Au final, en comptant toutes les vagues, on sera près de trois cents à prendre la route pour Provins, direction sud-est.Ces conneries de fin de semaine, ça fait presque un an que ça dure, depuis que j’ai découvert l’existence du Classics Challenge. J’ai toujours adoré rouler en solitaire, c’est aussi pour ça que le vélo a pris une place aussi importante dans ma vie. Ce sentiment de liberté d’esprit par le mouvement, j’en ai entendu toutes les subtilités parce que le silence régnait autour de moi, et ça m’a convenu longtemps. Ce matin, je ne suis pas franchement parti pour ça mais ça ne me dérange pas le moins du monde. Rouler en mode Classics Challenge m’a réconcilié avec un philanthropisme jusqu’alors peu enclin à s’exprimer chez moi en cales SPD. Je vois Guillaume en train de filmer tout ce qui bouge avec son smartphone rose, tout va bien. Bertrand s’occupe de donner les départs successifs avec ses panneaux, Sophie prend des photos, l’équipe n’a pas franchement le temps de niaiser.

« Tu viens comme tu es, avion de chasse avec un maillot de club,

ou simple amateur de balades à rallonge » 

François, le grand ordonnateur, serre des pognes, invite les groupes à se former, sans trop se prendre la tête non plus. Il avouera sans peine, au moment du départ de son groupe, avoir oublié de charger le tracé dans son GPS. C’est aussi pour ça qu’on se lève le matin pour un “Classics”. On n’est pas là pour s’infliger quoi que ce soit ni pour se prendre au sérieux, même si beaucoup de néophytes ont un peu de mal à comprendre cette notion avant d’avoir testé. Les vitesses les plus basses sont faites pour eux : on y retrouve toute l’essence de ce “social ride” (c’est comme ça qu’on dit, non ?) sans avoir à dégainer le cuissard à 150 balles qui va bien, ou rouler à 30 à l’heure de moyenne. En gros, tu viens comme t’es, qui que tu sois un avion de chasse avec un maillot de club ou un simple amateur de balades à rallonge. C’est bête à dire, mais c’est selon moi un élément crucial du concept : un esprit commun, des communautés riches de leurs différents rapports au même sport, il y a de quoi discuter. Je décolle avec le groupe des “25-27” (kilomètres-heure de moyenne), et forcément, rien ne se passe comme prévu : un bitume parfait, une bonne allure, mais un unique caillou sur ce boulevard du bois de Vincennes : chambre pincée, crevaison au kilomètre 3, je perds mon groupe et je me retrouve seul avec les doigts gelés à réparer en express. Les 25-23 me dépassent juste à la fin de ma réparation, je les recolle : bon, c’était pas le plan, je vais rouler avec un groupe un peu en dessous de mon niveau et surtout avec un paquet d’inconnus. Je ne le sais pas encore, mais c’est là que ça devient intéressant.

« Quasi certains de rencontrer les communales

les plus sexys d’Ile-de-France et alentours »

Je me lance d’abord seul, prenant un peu d’avance sur la troupe mais sans espoir non plus de rattraper mes amis. Je navigue à vue. Je sais faire : mes premiers Classics Challenge, au printemps 2017, je les ai faits à des dates complètement décalées. J’avais sûrement plein de raisons valables, mais j’imagine que je m’y retrouvais bien dans le fait d’être peinard, un lundi, à boucler un Paris-Nemours. C’est une possibilité que permet cette suite de défis : pour participer, il suffit de rouler, aux dates des rides en groupe ou quand bon vous sied. Le bilan se fait en fin d’année, et si vous avez bouclé toutes les sorties de la saison, vous êtes à un tirage au sort avec une sacrée bicyclette en charbon à la clé. Soyons francs, je n’ai jamais roulé pour ça, mais j’ai vite compris pourquoi je le faisais. À se lancer dans l’inconnu avec un GPS et des pâtes d’amande dans la poche, on peut s’en tirer avec une chouette sortie… Avec une carte estampillée Classics Challenge, on est quasi certains de rencontrer les communales les plus sexy d’Île-de-France et des régions alentour.

Mon premier CC, c’était vers Rouen. Seul, début mai, au lendemain du second tour des Présidentielles, un 8 mai. Du gris, du vent, des incertitudes sur mes capacités à finir le trajet et, a priori, des boulangeries fermées. À cette heure, cela reste sans doute mon souvenir le plus important dans mon petit panthéon des Classics, voire de mes sorties à vélo. Un tracé GPS taquin ? Possible, mais toujours pour les bonnes raisons. Jamais de stress, de mise en danger, de grosses routes moches à camions. Forcément, quelques raidillons, mais toujours sur des routes qu’on peine parfois à croire ouvertes aux voitures, isolées et donc forcément magnifiques. On ne saura jamais si certaines portions de routes ont été empruntées par les pionniers du vélo à l’époque du “vrai” Paris-Rouen, mais l’important n’est pas là. Je suis arrivé dans la capitale normande sur les rotules, fier de ce que j’avais accompli physiquement, et surtout émerveillé du voyage que j’avais pu faire. Parce que c’est bien de ça dont il s’agit au final, en version poche, mais tout de même. Et qu’on n’essaie pas de me baratiner : quand on prend un train pour rentrer, ça prouve que c’est un peu l’aventure.Provins, ce n’est pas tout à fait pareil. Je connais un peu le trajet, j’ai même eu le loisir d’en reconnaître une partie avec la team. En secret, bien entendu : jamais un tracé n’est dévoilé trop en avance malgré notre envie mécanique de balancer nos errances sur Strava. C’est ce qui rend l’attente excitante, mais disons qu’en hiver, par cette température et avec cette purée de pois, la limonade a un goût différent. Pas forcément plus mauvais, toutefois, et il a fallu que je m’arrête prendre une photo pour m’en rendre compte : un groupe de cyclistes me rattrape et j’y retrouve Kristine, une amie avec qui je ferai l’essentiel du trajet, au fil des groupes qui se font et se défont. Contre le froid et contre nous-mêmes parfois, avec nos fringues qui ruissellent de l’humidité ambiante. C’est fou comme une route possède aussi ses humeurs.

« Passer plus de temps pour refaire le match, parler du sens

de cette journée avec mes compagnons de route »

Au doigt levé, je prédis à mon groupe une côte bien costaude dans les trois derniers kilomètres (on connaît l’humour des mappeurs) : bingo. Et surtout sans rancune : aucun moyen de le savoir au début de l’ascension, mais les remparts de la vieille ville de Provins finissent par se dévoiler après quelques lacets. 200 mètres plus tard, la crêperie La Fleur de sel déborde de cyclistes fourbus qui s’enquillent des complètes. Les serveurs sont débordés mais heureux, tout cela est un poil surréaliste. Je me permets de laisser passer un train pour y passer plus de temps, pour refaire le match et parler du sens de cette journée avec mes compagnons de route. Je n’avais absolument aucune idée de ce qui allait se passer devant mon porridge de 7h52. Mais je suis à peu près sûr de remettre un réveil la prochaine fois.Mathias, l’auteur, à travers l’oeil de Daniel, le photographe. 

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